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Littérature française - Page 181

  • Thiry poète marchand

    Succédant à son père, Marcel Thiry achète et revend des stocks de charbon, de bois, il voyage. « Son existence est à présent ponctuée d’échéances, d’horaires de trains, de chambres d’hôtels, de Bourses du Commerce, de buffets de gares. » (Bernard Delvaille) Nouvelles sources d’inspiration.

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    « Tu vends des peupliers au marché de Roermonde.
    Tu es venu par le moins lyrique des trains.
    Bourse aux arbres : la roue ironique du monde
    T’arrête ici pour faire un calcul en florins.

     

    Bientôt, wagons, vous nous aurez assez blasés
    De notre ancien plaisir de passer les frontières ;
    Seuils des pays, nous vous aurons assez usés,
    Et les virginités des gares douanières.

     

    Où est le voyageur-Psyché qui adorait
    Les Eros endormis des wagons de seconde,
    Et les trains plus aventureux que la forêt ? .
    Il vend des peupliers au marché de Roermonde. »


    (Statue de la Fatigue, 1934)

     

    1935 est pour lui l’année de partage entre la paix et la guerre, à nouveau. La Hollande où il se rend pour ses affaires entre dans son univers poétique et surtout le thème de la fuite du temps, abordé aussi dans des nouvelles, des récits, des proses.

     

    « L’ange A-quoi-bon descend quelquefois dans les villes.
    C’est souvent par des soirs changeants, qu’il va pleuvoir,
    Que la rose des vents s’effeuille au ciel des villes ;
    Alors l’ange A-quoi-bon sort des squares tranquilles.
    On passe à travers ses lins simples sans le voir,
    On croit que c’est le vent qu’on a sur la figure
    Et sur le dos des mains heureuses, mais c’est sa
    Robe et son corps immatériel qu’on traversa,

    Et l’on en garde un bleu immortel en vêture.

     

    Car l’à-quoi-bon bleuit subtilement la ville,
    Un bleuté d’aquarium vient délaver la vie.

     

    Rare et heureux celui qui a traversé l’ange,
    Connu son corps de vent caressant comme un linge
    Et qui en sort vêtu d’un bleu indifférent.
    Rien ne lui est plus rien de l’amour, du courant
    Des tramways cristallins, de la mort, des lumières ;
    Il passe à travers les passants et les matières
    Comme l’ange à travers son passage a passé,
    Il laisse un peu de bleu au tramway traversé
    Et ses yeux sont lavés d’avoir traversé l’ange
    Et sont plus clairs d’avoir été des yeux d’aveugle
    Et sauront voir, quand il descendra vers le Fleuve,
    L’Ange à-quoi-bon assis sur la berge à l’attendre. »


    (Ages, 1935)

     

    Le thème du temps destructeur gagne du terrain – Usine à penser des choses tristes – mais il l’envisage sans trop de mélancolie, serein, lucide. Il se réjouit que sa fille Lise (virologue renommée) accompagne son « grand âge ». Et chaque année, heureusement, ramène les fleurs de saison,  jacinthes bleu-Pâques, asters, colchiques. Les arbres, il en fait commerce et il les aime, ils reprennent vie dans des vers libres :

     

    « Tous les arbres que j’ai tués se mettront quelque jour à revenir
    Non tels que je les aurai mutés par commerciales métamorphoses,
    Non pas distribués comme ils le sont par mes contrats et mes factures
    Au large du monde avide et réceptif… »
     

    (Prose des forêts mortes in Trois longs regrets du lis des champs, 1955)

     

    Marcel Thiry, poète, marchand, a aussi été très actif dans la vie publique : membre, puis secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, membre à vie du Conseil international de la Langue française, cofondateur du Rassemblement wallon, un parti défenseur des francophones pour lequel il a été sénateur, puis sénateur européen. A l’écart des courants et des modes, « Marcel Thiry incarne en quelque sorte l'homme pressé de la poésie belge d'expression française » (Karel Logist )

     

    « Hiver. Les révélés du noir sur vert et gris.
    Hiver pour la fine écriture des branchages
    Tracée en phrase collective au long des pages
    De ciel, par longs dessins épiés incompris,
    La diffuse arabesque au-delà des langages,
    Dont même celle qui nous attend, notre lot
    Final, elle la totale, n’a pas le mot. »

     

    (L’Encore, 1975)

     

  • Angle doux

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    « Quand j’eus compris quel angle doux

    Faisait sa bouche avec sa joue,

    Je savais quelle âme floue

    J’aimerais un jour.

     

    Mais quand sa voix aux longs échos

    M’eut donné ses profondeurs mauves

    Mieux qu’après l’ombre et l’alcôve

    Je savais son corps. »

     

    (Marcel Thiry, L’Enfant prodigue, 1927)

  • Thiry poète voyageur

    Marcel Thiry (1897-1977), poète voyageur, puis poète marchand, s’est engagé à dix-huit ans comme soldat avec son frère dans une unité belge d’autos-canons en soutien des forces russes : Petrograd, Tsarkoïé-Selo, Moscou, Kiev, Tarnopol... Quand la Révolution d’Octobre éclate, c'est le signal du retour par la Sibérie, Irkoutsk, Kharbine, Vladivostok   « les trente mois de notre jeunesse les plus ardents et les plus riches en souvenirs, et nous garderons d’elle, des peuples russes et de la vie russe un amour plus fort que l’amertume des rêves et des déceptions. » Défilé sous une pluie de roses à San Francisco, puis les soldats visitent Salt Lake City, New York, avant Bordeaux, Paris, Liège où Thiry va étudier le droit. 

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    « Je me souviens encor de vos rouges falaises,

    Folkestone, et du vert des pelouses anglaises

    Et du balancement respirant d’un steamer,

    Et, passé les semaines vastes sur la mer,

    Je sais encor l’arrière-saison boréale

    Où parurent, parmi la pâleur idéale

    Et l'haleine du Pôle angélisant le ciel,

    Le Nord, le gel, et les clochers d'or d'Archangel.

     

    Je me souviens encor du nom fier d'Elverdinghe

    Et des bons compagnons durcis par la bourlingue

    Près de qui j'ai dormi mes plus justes sommeils ;

    Je me souviens de continents et de soleils

    Qui jalonnèrent les trois ans de France en France,

    Et dans sa fin d’enfance et son indifférence,

    Du soldat maigre, oisif et sale que j'étais. »

     

    Dès 1912, Marcel Thiry publie ses premiers vers dans la revue Belgique-Athénée. Il admire Henri de Régnier, Verlaine, et après la guerre, l’Apollinaire d’Alcools. Sa voix – sa voie – propre se fait entendre en 1924 dans Toi qui pâlis au nom de Vancouver, titre du recueil et d'un célèbre poème plusieurs fois remanié.

     

    « Toi qui pâlis au nom de Vancouver,

    Tu n'as pourtant fait qu'un banal voyage ;

    Tu n'as pas vu la Croix du Sud, le vert

    Des perroquets ni le soleil sauvage.

     

    Tu t'embarquas à bord de maint steamer,

    Nul sous-marin ne t'a voulu naufrage ;

    Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,

    Pour déserter tu fus toujours trop sage.

     

    Mais qu'il suffise à ton retour chagrin

    D'avoir été ce soldat pérégrin

    Sur les trottoirs des villes inconnues,

     

    Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway,

    D'avoir aimé les grâces Greenaway

    D'une Allemande aux mains savamment nues.

     

    (Marcel Thiry, Toi qui pâlis au nom de Vancouver, 1924)

     

    Après Plongeantes Proues et L’Enfant prodigue, le thème du voyage laissera la place à une autre source d’inspiration. A la mort de son père en 1928, Thiry reprend ses affaires (commerce de bois et de charbon) et sa poésie aborde des thèmes plus rares chez les poètes : le commerce, les bureaux. Le ton change. Ce sera pour un autre billet.

  • Spectacle permanent

    « Or l’essentiel de la vie des sacs se déroule dans d’autres contextes. Dans l’éclat des apparences, le plaisir des mises en scène, l’art quotidien de la silhouette. L’âme des sacs est le plus souvent colorée et joyeuse ; les sacs sont un spectacle permanent. » 

    Jean-Claude Kaufmann, Le sac

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    Ammi Philips (1788-1865)
    Portrait de Harriet Leavens

     

     

     

  • Leurs sacs et elles

    Léger ou pesant, le sac que la plupart des femmes et quelques hommes trimbalent avec eux où qu’ils aillent est pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann « un formidable laboratoire ambulant ». Malgré son sous-titre ridicule (Un petit monde d’amour), Le sac (2011) allait-il m’apprendre quelque chose sur cet accessoire dont le choix n’est pas si simple ? 

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    Allons-y pour « faire parler les sacs ». Le sociologue a enquêté dix-huit mois sur le sujet, et son essai se nourrit largement des témoignages récoltés via Psychologies magazine, « 75 récits de sacs ». Les hommes le ressentent comme un territoire interdit, la plupart des femmes en font leur domaine intime, personnel, inviolable. 
     

    Ce « compagnon des temps creux » abrite en plus du portefeuille toutes sortes de choses, des papiers avec des listes, des carnets, mais aussi des grigris, des porte-bonheur, un livre, des cailloux même, voire des chaussures de rechange. Pourquoi transporter tant de choses avec soi ? « Les femmes sont des êtres relationnels » beaucoup plus que les hommes, elles ont dans leur sac de quoi aider, soigner, réparer, recoudre, elles portent pour elles mais aussi pour les autres.
     

    Que met-on dans son sac ? Qu’est-ce qui se cache dans leurs profondeurs ? Pourquoi n’y retrouve-t-on pas tout de suite son téléphone, ses clés, souvent repérés au toucher ? Pourquoi si peu de poches dans les sacs – même si les fabricants commencent à répondre à cette demande d’organisation ? Kaufmann convient que la majorité se situe entre les « ultra-maniaques » et les « ultra-bordéliques ». Les femmes qui lui ont écrit classent elles-mêmes le contenu de leur sac à main en choses essentielles et optionnelles, permanentes ou occasionnelles.
     

    « Le style n’est pas qu’affaire de style. Il est aussi affaire d’identité. » On porterait un sac à son image. Acheté en vacances, il rappelle le plaisir d’une évasion, de bons moments. La mode, bien sûr, encourage la recherche de la distinction (ou du conformisme) – le sac, enjeu commercial et guerre des marques, entre dans le jeu social. Comment le porter ? Le sac à l’épaule lancé par Coco Chanel en 1929, plus pratique, est devenu l’usage ordinaire, mais pour l’élégance il se porte au creux du coude ou sur le poignet relevé.

     

    Le sac se ferme, il s’ouvre, il dissimule. « Petite maison portative », il peut contenir de quoi boire, de quoi manger, de quoi écrire… « au cas où ». Pourquoi s’infliger une telle charge ? Au nom de l’égalité entre hommes et femmes, certaines se proclament « anti-sac » et s’en passent, d’autres optent pour le sac à dos qui laisse les mains libres. Si certaines se réjouissent de partir se promener sans sac, allégées, d’autres éprouvent comme un sentiment d’amputation en l’absence de leur sac à main.
     

    Besace, sacoche, pochette, « le sac fait la femme », ose Kaufmann. Son format change avec l’âge : le sac léger de jeune fille s’alourdit avec le temps, et plus tard, à l’approche de la soixantaine, s’allège à nouveau. Les vieilles femmes, dans leur résidence pour personnes âgées, s’accrochent avec dignité à ce sac devenu poids plume, « le dernier visage de leur identité ».
     

    Les hommes à sacs sont plus rares, parfois efféminés, souvent à la recherche du fonctionnel. Le sac à dos ou le sac de sport, dont le format tend actuellement à se réduire, amorce-t-il un changement, une appropriation du sac par la gent masculine friande d'accessoires technologiques ?
     

    L’essai de Jean-Claude Kaufmann (un homme à cartable) est bourré d’anecdotes, de témoignages, il se lit comme un magazine, avec son lot d’informations, d’amusements et de niaiseries. Pris la main dans le sac par quelques blogueuses, le sociologue de la vie quotidienne veut montrer la complexité d’un sujet qui est à la fois « dehors » et « dedans ». Rien de neuf, il me semble, pour qui a une longue expérience des sacs. Mais admettons tout de même qu’à lire les vicissitudes de cet objet quasi obligé de la féminité, nous nous interrogeons quelquefois, sur les autres et sur nous-mêmes, en toute légèreté.